Franz Kafka
Le Procès
Traduit de l’allemand par
Stefan Kaempfer
paru le 8 novembre 2017 aux
> Éditions Écriture (L’Archipel / Jean-Daniel Belfond) <
Stefan Kaempfer
paru le 8 novembre 2017 aux
> Éditions Écriture (L’Archipel / Jean-Daniel Belfond) <
I
Arrestation
Quelqu’un avait dû calomnier Joseph K. car il fut arrêté un matin sans avoir rien fait de mal. Cette fois-là, la cuisinière de Mme Grubach, sa logeuse, qui lui apportait son petit-déjeuner tous les jours vers huit heures, ne se présenta pas. Ce n’était encore jamais arrivé. K. patienta quelques instants, aperçut de son oreiller la vieille femme habitant en face, qui l’observait avec une curiosité tout à fait inhabituelle, puis, à la fois troublé et affamé, il sonna. Aussitôt, on frappa à sa porte et un homme entra, qu’il n’avait encore jamais vu dans cet appartement. Quoique mince, il était bien bâti et portait un habit noir seyant, pourvu à la façon des costumes de voyage d’une série de plis, de poches, de boucles, de boutons et d’une ceinture qui le firent paraître particulièrement pratique, même si leur utilité restait incertaine. « Qui êtes-vous ? » demanda K. qui s’était immédiatement redressé sur son lit. Or, comme s’il fallait accepter sa présence, l’homme ne releva pas la question et remarqua simplement de son côté : « Vous avez sonné ?
— Anna doit m’apporter le petit-déjeuner », dit K., et il tenta de découvrir tout d’abord en silence l’identité de l’homme par l’observation et la réflexion. Mais celui-ci ne s’exposa pas très longtemps à son regard et se tourna vers la porte, qu’il entrebâilla légèrement pour dire à quelqu’un qui se tenait apparemment juste derrière : « Il veut qu’Anna lui apporte son petit-déjeuner. » S’ensuivit un petit rire dans la chambre mitoyenne, dont la sonorité ne permettait pas de déterminer s’il était le fait d’une seule ou de plusieurs personnes. Bien que l’étranger ne pût en avoir tiré une information qu’il ignorait auparavant, il dit tout de même à K. sur le ton du communiqué : « C’est impossible.
— Ce serait nouveau », dit K. avant de sauter du lit et d’enfiler son pantalon à la hâte. « J’aimerais bien savoir qui sont ces gens dans la chambre d’à côté et comment Mme Grubach va justifier ce dérangement à mon égard. » Il lui vint tout de suite à l’idée qu’il aurait pu éviter de dire ces paroles à haute voix et que d’une certaine façon il reconnaissait ainsi à l’homme un droit de surveillance, mais pour l’heure cela ne lui parut pas important. Or, l’étranger le prit de cette manière car il demanda : « Vous ne préférez pas rester là ?
— Je ne veux ni rester là ni que vous m’adressiez la parole si vous ne vous présentez pas.
— Je ne pensais pas à mal », dit l’étranger, avant d’ouvrir la porte de son propre chef. À première vue, la chambre mitoyenne, dans laquelle K. pénétra plus lentement que prévu, n’avait pas changé depuis la veille au soir. C’était le salon de Mme Grubach, mais peut-être y avait-il aujourd’hui un peu plus de place que d’habitude dans cette pièce encombrée de meubles, de couvertures, de porcelaine et de photographies, on ne s’en rendait pas bien compte sur le moment, d’autant que le changement principal consistait dans la présence d’un homme assis près de la fenêtre ouverte avec un livre dont il se désintéressa à présent : « Vous auriez dû rester dans votre chambre ! Franz ne vous l’a-t-il donc pas dit ?
— Qu’est-ce que vous voulez, à la fin ? » demanda K. en faisant alterner son regard entre le nouveau personnage et celui que l’on appelait Franz, qui s’était arrêté dans l’embrasure de la porte. Par la fenêtre ouverte, on apercevait à nouveau la vieille femme qui, avec une curiosité véritablement sénile, s’était maintenant postée à une fenêtre située en face du salon afin de pouvoir continuer à tout voir. « Mais je veux que Mme Grubach… », lança K. avec un geste pour se libérer des deux hommes, qui pourtant se tenaient loin de lui, puis il fit mine de s’en aller. « Non, dit l’homme près de la fenêtre, vous n’avez pas le droit de partir puisque vous êtes en état d’arrestation.
— Ça m’en a tout l’air », dit K., avant de demander : « Et pourquoi donc ?
— Il n’est pas de notre ressort de vous le dire. Allez dans votre chambre et patientez. Il se trouve que la procédure a été engagée, et le moment venu vous serez mis au courant de tout. J’excède ma mission en vous parlant aussi amicalement. Mais je veux espérer que personne ne nous entend, à part Franz qui enfreint lui aussi tous les règlements en se montrant aimable avec vous. Si vous continuez d’avoir autant de chance dans l’attribution de vos gardiens, vous pouvez être confiant. » K. voulut s’asseoir, mais il constata qu’il n’y avait aucun siège dans toute la pièce, hormis le fauteuil près de la fenêtre. « Vous finirez par comprendre la vérité de tout ça », dit Franz qui se dirigeait vers lui en même temps que l’autre homme. Surtout ce dernier était bien plus grand que K. et lui tapota l’épaule à plusieurs reprises. Tous deux inspectèrent sa chemise de nuit, et ils dirent qu’il allait devoir mettre une chemise bien plus modeste à présent, mais qu’ils conserveraient celle-là tout comme le reste de son linge qui lui serait restitué si son affaire devait se conclure favorablement. « Il est préférable que vous nous remettiez vos affaires, plutôt qu’au dépôt, dirent-ils, car au dépôt, il y a souvent des malversations, et d’ailleurs on y vend toutes les affaires après un certain temps sans se soucier de ce que la procédure correspondante soit terminée ou non. Et ce genre de procès traîne beaucoup en longueur, surtout ces derniers temps ! Toutefois, le dépôt finirait par vous restituer la recette, mais d’abord cette recette est en soi minime car à la vente, ce n’est pas la hauteur de l’offre mais la hauteur du pot de vin qui compte, et ensuite l’expérience nous enseigne que de telles recettes diminuent quand elles passent de main en main au fil des années. » K. ne prêta guère attention à ces discours, le droit de disposer de ses affaires, qui pour l’heure lui appartenait peut-être encore, ne valait pas grand-chose à ses yeux, il était bien plus important de tirer sa situation au clair ; or la présence de ces gens lui interdisait même de réfléchir, sans cesse le ventre du second gardien – il ne pouvait en effet s’agir que de gardiens – venait le heurter quasi amicalement, mais en levant les yeux il aperçut, sans rapport avec ce gros corps, un visage sec
et osseux au nez proéminent, tordu sur le côté, qui communiquait par-dessus sa tête avec l’autre gardien. Quelle sorte d’hommes étaient-ils donc ? De quoi parlaient-ils ? À quelle administration appartenaient-ils ? K. vivait pourtant dans un État de droit, la paix régnait partout et toutes les lois étaient en vigueur ; dès lors, qui osait venir lui tomber dessus à son domicile ? Il était toujours enclin à prendre les choses à la légère, de ne croire au pire que quand le pire était arrivé, de ne pas se préoccuper de l’avenir, même si tout menaçait. Or, à présent, une telle attitude ne lui semblait plus indiquée ; on pouvait évidemment voir une plaisanterie dans tout cela, une plaisanterie certes grossière qui, pour des raisons inconnues, peut-être parce que c’était le jour de son trentième anniversaire, lui aurait été faite par les collègues de la banque, voilà qui était dans le domaine du possible ; peut-être suffisait-il simplement de leur rire au nez, à ces gardiens, et ils riraient à leur tour, peut-être s’agissait-il de domestiques du coin de la rue, ils n’en étaient pas bien différents ; cependant, il était décidé, pratiquement dès l’instant où il avait aperçu le gardien Franz, de ne pas céder le moindre avantage qu’il pouvait avoir sur ces gens. Il voulait bien courir le risque que l’on dise plus tard qu’il ne comprenait pas la plaisanterie, mais il se souvenait – même si par ailleurs il n’avait pas l’habitude de tirer la leçon de ses expériences – de certains cas en soi insignifiants où, en toute conscience et contrairement à ses amis, il s’était comporté de manière imprudente, sans la moindre intuition des conséquences possibles, ce qui lui avait valu la sanction des événements. Cela ne devait pas se reproduire, du moins pas cette fois ; si c’était une comédie, il y jouerait son rôle.
et osseux au nez proéminent, tordu sur le côté, qui communiquait par-dessus sa tête avec l’autre gardien. Quelle sorte d’hommes étaient-ils donc ? De quoi parlaient-ils ? À quelle administration appartenaient-ils ? K. vivait pourtant dans un État de droit, la paix régnait partout et toutes les lois étaient en vigueur ; dès lors, qui osait venir lui tomber dessus à son domicile ? Il était toujours enclin à prendre les choses à la légère, de ne croire au pire que quand le pire était arrivé, de ne pas se préoccuper de l’avenir, même si tout menaçait. Or, à présent, une telle attitude ne lui semblait plus indiquée ; on pouvait évidemment voir une plaisanterie dans tout cela, une plaisanterie certes grossière qui, pour des raisons inconnues, peut-être parce que c’était le jour de son trentième anniversaire, lui aurait été faite par les collègues de la banque, voilà qui était dans le domaine du possible ; peut-être suffisait-il simplement de leur rire au nez, à ces gardiens, et ils riraient à leur tour, peut-être s’agissait-il de domestiques du coin de la rue, ils n’en étaient pas bien différents ; cependant, il était décidé, pratiquement dès l’instant où il avait aperçu le gardien Franz, de ne pas céder le moindre avantage qu’il pouvait avoir sur ces gens. Il voulait bien courir le risque que l’on dise plus tard qu’il ne comprenait pas la plaisanterie, mais il se souvenait – même si par ailleurs il n’avait pas l’habitude de tirer la leçon de ses expériences – de certains cas en soi insignifiants où, en toute conscience et contrairement à ses amis, il s’était comporté de manière imprudente, sans la moindre intuition des conséquences possibles, ce qui lui avait valu la sanction des événements. Cela ne devait pas se reproduire, du moins pas cette fois ; si c’était une comédie, il y jouerait son rôle.
Pour l’instant, il était toujours libre. « Permettez », dit-il avant de passer à la hâte entre les gardiens et de se rendre dans sa chambre. « Il se montre raisonnable », entendit-il dire dans son dos. Dans sa chambre, il ouvrit à la hâte les tiroirs du bureau, où tout était soigneusement rangé, mais il était trop irrité pour retrouver immédiatement les papiers d’identité qu’il cherchait. Il finit par mettre la main sur son permis de cycliste et voulut l’apporter aux gardiens mais, le document lui paraissant trop insignifiant, il continua de fouiller jusqu’à ce qu’il trouvât le certificat de naissance. Au moment où il fut de retour dans la pièce mitoyenne, la porte d’en face s’ouvrit et Mme Grubach s’apprêta à y entrer. On ne l’aperçut qu’un instant, car dès qu’elle reconnut K., elle afficha de la gêne, s’excusa, disparut et referma la porte avec une extrême précaution. K. n’avait eu que le temps de dire : « Mais entrez donc ! » À présent, il se tenait avec ses papiers au milieu de la pièce, le regard toujours rivé sur la porte qui ne s’ouvrait plus, et il ne fut alerté que par une interjection des gardiens qui dévoraient son petit-déjeuner à la petite table près de la fenêtre ouverte. « Pourquoi n’est-elle pas entrée ? demanda-t-il.
— Elle n’en a pas le droit, dit le grand gardien, puisque vous êtes en état d’arrestation.
— Mais comment puis-je être en état d’arrestation ? Et surtout de cette manière-là ?
— Voilà que vous remettez ça, dit le gardien en trempant une tartine beurrée dans le petit pot de miel. Nous ne répondons pas à ce genre de questions.
— Vous serez obligés d’y répondre, dit K., voici mes papiers d’identité, montrez-moi les vôtres et surtout le mandat d’amener.
— Juste ciel ! dit le gardien. Vous n’êtes donc pas capable d’accepter votre situation, et vous semblez avoir mis un point d’honneur à nous énerver inutilement, nous qui, parmi tous vos semblables, sommes probablement les plus proches de vous, désormais !
— C’est ainsi, croyez-le ! » ajouta Franz sans approcher de la bouche la tasse de café qu’il tenait à la main, tout en adressant à K. une longue œillade sans doute significative et pourtant incompréhensible. Involontairement, K. accepta un dialogue de regards avec Franz, puis il finit tout de même par taper sur ses documents pour dire : « Voici mes papiers d’identité.
— Que nous importent-ils ? s’exclama alors le grand gardien. Votre comportement est pire que celui d’un enfant. Que voulez-vous, à la fin ? Voulez-vous mener votre satané grand procès à une conclusion rapide en discutant identité et mandat d’amener avec nous autres, les gardiens ? Nous sommes des petits employés qui ne s’y connaissent guère en papiers d’identité et qui n’ont d’autre rapport avec votre affaire que de monter la garde auprès de vous dix heures par jour en étant payés pour ça. Voilà ce que nous sommes, mais nous sommes malgré tout capables de comprendre que la haute administration, dont nous faisons le service, se renseigne très exactement sur le détenu et les raisons de son arrestation avant de l’ordonner. L’erreur, ici, n’existe pas. Pour autant que je connaisse notre administration, et je n’en connais que les départements inférieurs, elle ne va certainement pas se mettre à la recherche de coupables dans la population, mais, comme la loi le prescrit, ce sont les coupables qui l’attirent, et elle doit nous mandater, nous autres les gardiens. C’est la loi. Où serait l’erreur ?
— Je ne connais pas cette loi, dit K.
— Tant pis pour vous, fit le gardien.
— Elle n’existe sans doute que dans vos têtes », dit K. avec le souhait de s’immiscer d’une manière ou d’une autre dans les pensées de ses gardiens pour les tourner à son avantage ou pour y élire domicile. Mais le gardien dit avec dédain : « Vous allez la sentir passer. » Franz s’en mêla pour ajouter : « Tu vois, Willem, il avoue qu’il ne connaît pas la loi tout en prétendant qu’il n’est pas coupable.
— Tu as tout à fait raison, mais on ne peut rien lui faire entendre », dit l’autre. K. cessa de répondre ; dois-je, pensa-t-il, me laisser troubler davantage par le bavardage de ces exécutants au bas de l’échelle, qui ont eux-mêmes reconnu leur position subalterne ? En tout cas, ils parlent de choses qu’ils ne comprennent pas. Seule leur bêtise autorise une telle assurance. Les quelques paroles que j’échangerai avec l’un de mes égaux vont tout rendre incomparablement plus limpide que des conversations interminables avec ceux-là. Il déambula quelque temps à travers l’espace libre de la pièce et aperçut la vieille femme d’en face qui, ayant attiré à la fenêtre un vieillard bien plus âgé qu’elle, le tenait dans son étreinte. K. devait mettre fin à cette exhibition : « Conduisez-moi chez votre supérieur, dit-il.
— Quand il le souhaitera, pas avant », rétorqua le gardien qui répondait au nom de Willem, avant d’ajouter : « Et maintenant je vous conseille d’aller dans votre chambre, de vous tenir tranquille et d’attendre qu’on ait statué sur votre sort. Nous vous conseillons de ne pas vous laisser divertir par des pensées inutiles mais de vous recueillir ; de grands efforts vous seront demandés. Vous ne nous avez pas traités comme nous l’aurions mérité avec nos manières avenantes ; vous avez oublié que nous sommes des hommes libres, quoi que nous puissions être par ailleurs, et ce n’est pas là un mince avantage. Cependant nous sommes disposés à aller vous chercher un petit-déjeuner au café d’en face, si toutefois vous avez de l’argent. »
Sans réagir à cette offre, K. resta immobile un moment. S’il ouvrait la porte de la chambre suivante, voire celle de l’antichambre, ces deux-là n’oseraient peut-être pas l’en empêcher ; la solution la plus simple serait peut-être de pousser les choses jusqu’à leur paroxysme. Mais il se pouvait malgré tout qu’ils le saisissent et, une fois à terre, il aurait perdu toute la supériorité que, d’une certaine façon, il possédait encore sur eux. Il préféra donc la solution sûre que le cours naturel des choses devait apporter et se retira dans sa chambre sans qu’une autre parole eût été échangée.
Il se jeta sur son lit et prit une belle pomme sur la table de toilette, qu’il avait préparée la veille au soir pour le petit-déjeuner et qui, comme il se rassura en la mordant à pleines dents, valait certainement mieux que le petit-déjeuner du bar de nuit crasseux qu’il aurait pu obtenir par la grâce des gardiens. Il se sentait à son aise et confiant, même s’il manquait le service à la banque ce matin, mais avec la position relativement élevée qu’il y occupait, il excuserait facilement son absence. Devait-il en mentionner le véritable motif ? Il pensait le faire. Si l’on n’y croyait pas, ce qui dans ce cas était compréhensible, il ferait appel au témoignage de Mme Grubach ou encore des deux vieux d’en face, qui étaient sans doute en train de crapahuter vers la fenêtre située en face de la sienne. En considérant le point de vue des gardiens, K. s’étonna qu’ils l’eussent chassé dans sa chambre pour l’y laisser seul, quand il avait dix fois la possibilité de se suicider. En même temps il se demanda, de son point de vue cette fois, pour quelle raison il pouvait commettre un tel acte. Parce que ces deux-là étaient assis à côté et qu’ils avaient intercepté son petit-déjeuner ? Il aurait été tellement absurde de se suicider que, même s’il avait voulu le faire, il n’en aurait pas été capable à cause de cette absurdité même. Si la pauvreté d’esprit des gardiens n’avait pas été aussi éclatante, on aurait pu se convaincre, en vertu du même raisonnement, qu’ils n’avaient pas jugé dangereux de le laisser seul. Si cela leur chantait, ils pouvaient à présent constater qu’il se dirigeait vers un placard où il conservait un bon schnaps, afin de vider un premier verre en guise de petit-déjeuner, puis un second, destiné à lui donner du courage, en prévision du cas improbable qui l’exigerait.
Tout à coup, un appel dans la chambre mitoyenne l’effraya tellement que ses dents claquèrent sur le verre : « Le superviseur vous réclame ! » Ce ne fut que le cri qui l’effraya, ce cri bref, haché, militaire, dont il n’aurait pas cru capable le gardien Franz. L’ordre en lui-même était le bienvenu. « Enfin ! » lança-t-il en retour, avant de boucler le placard et de se rendre sur-le-champ dans la pièce mitoyenne. « Qu’est-ce qui vous prend ? s’écrièrent-ils. Vous voulez donc paraître en bras de chemise devant le superviseur ? Il va vous faire rouer de coups et nous avec !
— Lâchez-moi, que diable ! s’écria K. qui avait déjà été repoussé jusqu’à son vestiaire. Quand on me tombe dessus au pied du lit, il ne faut pas s’attendre à me trouver en tenue de soirée.
— On n’y peut rien », dirent les gardiens qui, à chaque fois que K. criait, devenaient très calmes, presque tristes, avec pour effet de le troubler ou de le ramener en quelque sorte à la raison. « Quelle cérémonie ridicule », grommela-t-il encore en prenant une veste sur la chaise, qu’il tint quelques instants entre ses mains comme pour la soumettre au jugement des gardiens. Ils refusèrent de la tête. « Il faut que ce soit une veste noire », dirent-ils. Alors K. jeta la veste par terre pour dire, en ignorant lui-même le sens de ses paroles : « Nous n’en sommes pas encore à l’audience principale, que je sache. » Les gardiens sourirent, mais s’en tinrent à leur « il faut que ce soit une veste noire.
— Soit, si cela me permet d’accélérer la procédure », dit K., puis il ouvrit l’armoire, chercha longtemps parmi les nombreux habits, se décida pour son meilleur habit noir, un habit à veston dont la coupe cintrée avait failli faire jaser ses amis, sortit également une nouvelle chemise et se mit à s’habiller avec soin. En secret, il crut avoir obtenu une accélération des choses, puisque les gardiens avaient oublié de le contraindre à prendre un bain. Il les observait pour voir s’ils allaient finir par y penser, mais cela ne leur vint évidemment pas à l’esprit ; cependant, Willem n’oublia pas d’envoyer Franz chez le superviseur pour l’informer que K. s’habillait.
Lorsqu’il fut prêt, il dut traverser avec Willem sur ses talons la pièce attenante, qui était déserte, pour se rendre dans la chambre suivante dont la porte à double battant était déjà ouverte. K. savait parfaitement que cette chambre était occupée depuis peu par une certaine Mlle Bürstner, une dactylographe qui avait coutume de se rendre très tôt à son travail et de rentrer tard, avec laquelle K. n’avait guère échangé que des salutations. À présent, la petite table de nuit avait été déplacée du lit au centre de la pièce pour servir de bureau, et le superviseur s’y était installé. Il avait croisé les jambes et posé un bras sur le dossier de la chaise.
Dans un coin de la chambre, trois jeunes gens se tenaient debout en contemplant les photographies de Mlle Bürstner, qui étaient placées sur une natte accrochée au mur. Une blouse blanche était suspendue à la poignée de la fenêtre ouverte. À la fenêtre d’en face, les deux vieux avaient repris position, mais l’assemblée s’était agrandie car, derrière eux, un homme qui les dépassait de beaucoup arborait une chemise ouverte sur la poitrine en triturant son bouc aux reflets roux. « Joseph K. ? » s’enquit le superviseur, peut-être simplement pour attirer sur sa personne le regard distrait de K., qui opina du chef. « Vous êtes sans doute très surpris par les événements de cette matinée ? » demanda le superviseur en déplaçant des deux mains les quelques objets posés sur la petite table de nuit, une bougie et des allumettes, un livre et une pelote d’épingles, comme s’il s’agissait d’objets qui serviraient aux débats.
Na podzim se u nás zastavil Stefan Kaempfer, překladatel žijící v Berlíně. Tento týden nám od něj přišel jeho nový francouzský překlad Kafkova Procesu, který věnoval do naší knihovny i s milým vzkazem. Velice děkujeme a přejeme mnoho úspěchů!
Traduction automatique du tchèque
(d’abord en allemand, puis de l’allemand en français !)
À l’automne, le traducteur Stefan Kaempfer, qui vit à Berlin, est passé. Cette semaine, nous avons reçu de lui sa nouvelle traduction française du Procès de Kafka, qu’il a envoyée à notre bibliothèque avec un beau message. Merci et bonne chance!
Společnost Franze Kafky, The Franz Kafka Society of Prague – Facebook, 22 décembre 2017
Notes